Par Julie DUNOUHAUD
Responsable pédagogique : Fabien DESPINASSE
La feuille de route du programme numérique gouvernemental Tech.gouv a été réactualisée en juillet, en partie à la suite de la crise sanitaire, qui a confirmé l’utilité de la dématérialisation. Porté par des avancées notables, l’objectif d’accélérer la transformation numérique du service public demeure. De ce fait, un bilan du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques pour évaluer la mise en œuvre du travail à distance au sein des administrations vient de paraître[1].
La cybersécurité française s’offre de son côté un nouveau campus à la Défense, rassemblant des acteurs tant publics que privés. (I)
Si le secteur de la défense pâtit de la crise sanitaire, le manque de commandes et d’exportations baissant, le secteur naval embauche, sur le territoire, des corps de métiers spécifiques à la construction de nouveaux chantiers. (II)
Un an après la catastrophe industrielle de l’usine Lubrizol (Rouen), la ministre de la Transition écologique, et le ministre de l’Intérieur se sont rendus sur place pour y rencontrer les acteurs locaux. Lors d’une conférence de presse, ils ont annoncés de nouvelles règles concernant le contrôle de sites industriels, la mise en place d’un nouveau système d’alerte de la population. (III)
I. Tech.gouv : le programme de transformation numérique du service public s’étoffe
Lancé en 2019 par la direction interministérielle du numérique (DINUM) pour accélérer la transformation numérique du service public et résorber son retard, le programme numérique de l’État, Tech.gouv, fait aujourd’hui l’objet d’un premier bilan détaillé[2]. La crise sanitaire montrant l’importance fondamentale du numérique, qu’il s’agisse de télétravail ou de résilience des réseaux par exemple, le gouvernement a choisi d’ajouter cet été trois nouvelles actions à une liste qui en comporte désormais trente-huit.
Le premier projet, piloté par la mission Infra , a pour but de lancer des infrastructures et des services numériques mutualisés (réseau, cloud, outils de travail). Ce « sac à dos numérique » de l’agent public (SNAP) doit lui permettre de travailler aussi bien sur site qu’à distance : terminaux, logiciels, outils collaboratifs, accès aux applications, usage des moyens personnels.
Le deuxième projet (mission Data) vise à aider les administrations, sur les plans technique, juridique et managérial, afin qu’elles puissent piloter les politiques publiques par la donnée. Il s’agira de leur apprendre à analyser les données (data sciences) avant de définir les politiques publiques, et de mesurer l’impact de ces politiques (data visualisation, prospective). Cette prise de décision aidée par la donnée concerne aussi le niveau opérationnel, en améliorant la qualité d’activités publiques : contrôle, aides aux entreprises, soutien social etc. Les technologies de l’intelligence artificielle (traitement par langage naturel, big data…) y contribueront directement.
Enfin, le troisième projet (Lab GovTech au sein de la mission Label) concerne l’expérimentation par les administrations de solutions innovantes et de nouveaux usages venus de la société civile (entreprises, associations) : intelligence artificielle, chatbots (agent conversationnel), automatisation des processus robotisés.
La crise a démontré la criticité des questions relatives à la disponibilité des outils de travail numériques des agents publics, la difficulté de la prise de décision ainsi que l’utilisation des technologies d’intelligence artificielle. L’Etat, via le réajustement de sa politique du numérique dans le service public, vise à renforcer la résilience de l'administration et sa capacité à aider le secteur privé pendant une crise.
Le retour d’expérience du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques concernant l’organisation pratique du télétravail dans les administrations, permet néanmoins de tirer des premières conclusions encourageantes. Si le manque de préparation de l’administration au travail à distance a largement fait défaut, les organisations ont cependant “fait preuve d’une capacité de résilience” et “l’État est parvenu à assurer la continuité de ses missions essentielles”.[3]
Toutefois, il paraît nécessaire d'anticiper les nouvelles vulnérabilités que cette politique pourrait générer tout autant que les opportunités de mieux gérer les risques existants et à venir, dans une logique de coûts-bénéfices mais surtout de résilience continue inspirée de l'obligation de continuité et d'adaptation du service public.
Environ mille personnes venues de groupes privés comme Thales, Atos, Orange, Capgemini, d’agences de l’État comme l’Anssi[4], du monde de la recherche, de start-up, de centres de formation s’installeront à la Défense à partir du mois de septembre 2021[5]. L’objectif est de rassembler les experts en matière de cyber, et de faire travailler sur des projets communs un écosystème français de la cybersécurité encore trop fragmenté. Il s’agit à la fois de montrer un front uni face aux menaces grandissantes et d’assurer un meilleur rayonnement à l’international du savoir-faire tricolore dans ce secteur stratégique. L’alliance du privé et du public permet une plus grande coopération dans l’embauche de nouveaux talents dans une filière très en demande.
Dans un second temps, un autre site de taille équivalente ouvrira sur le plateau de Satory, à Versailles, pour pouvoir travailler sur des projets nécessitant plus d’espace, comme la sécurité des véhicules connectés, des drones ou des chaînes de montage. L’État a fait de la cybersécurité un axe prioritaire du volet numérique de son plan de relance[6]. Un plan cybersécurité avec des engagements financiers forts doit être présenté par Emmanuel Macron d’ici à la fin du mois d’octobre.
En janvier 2020, le secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O, et la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, avaient annoncé la signature d’un contrat stratégique de filière «Industries de sécurité»[7] avec les industriels français. Ce contrat doit remédier à l’éparpillement de l’écosystème français de la cybersécurité, composé de grandes entreprises, d’entreprises de taille intermédiaire, de PME et de start-up, qui peinent à travailler efficacement ensemble, alors que la concurrence internationale s’aiguise.
Les investissements conséquents du gouvernement dans cette filière ne permettent pas de rattraper le retard par rapport aux Etats-Unis par exemple, mais assurent un soutien aux entreprises nationales, protégeant leur savoir-faire notamment dans des niches.
II. L’industrie navale de défense, secteur prometteur d’embauches
« Avec l’embauche de 5 000 personnes depuis 2016, un salarié sur trois a moins de cinq ans dans l’entreprise.[8] » Naval Group[9], l’ex-Direction des constructions navales (DCN), l’une des plus anciennes sociétés françaises, bénéficie de nouvelles commandes du gouvernement lui permettant de recruter. « En quatre ans, nous avons créé 2 000 emplois net », ajoute Caroline Chanavas, la directrice des ressources humaines du groupe de défense spécialisé dans la fabrication de sous-marins et de navires. Ces nouvelles embauches vont permettre de remplir les carnets de commandes, qui ont repris en 2014 après une période de creux, et aussi à celles décrochées à l’exportation.
Ainsi, par exemple, le dernier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) devrait sortir des ateliers en 2054. Ces chantiers gigantesques prennent du temps à construire, et nécessitent des corps de métiers spécifiques, pratiques (manutentionnaires, soudeurs etc.) pour y répondre.
Le secteur maritime, également touché par la crise, bénéficie cependant de 250 millions d’euros du plan de relance de l’économie[10]. Cette enveloppe contribuera au maintien de la compétitivité des filières des industries et services de la mer, en particulier en soutenant l’innovation et la préparation de l’avenir, par exemple dans les domaines des navires non polluants et des systèmes autonomes d’exploration des océans. Ces industries seront également concernées par la décarbonation des activités, avec par exemple le déploiement de la stratégie nationale hydrogène, et le renforcement de leur résilience numérique, avec la cybersécurité.
Le groupe Naval embauchera cette année donc 1 100 ingénieurs, techniciens et ouvriers, sur les 1500 prévus, au cause du confinement. Ce renouvellement entraîne un rajeunissement de l’entreprise où la moyenne d’âge est de 41,5 ans, contre 43 ans en 2016. Depuis quatre ans, 40 % des embauchés ont moins de 30 ans et 8 % plus de 50 ans. Pour faciliter l’intégration des jeunes, Naval Group a lancé depuis deux ans des chantiers école pour former par petits groupes les nouveaux arrivants aux spécificités des métiers et surtout transmettre les compétences. Ils sont situés dans des espaces spéciaux au cœur même des ateliers concernés, comme c’est le cas sur le site de Nantes-Indret (Loire-Atlantique), spécialisé notamment dans la propulsion nucléaire des sous-marins. Deux chantiers écoles (montage mécanique et montage nucléaire) ont été lancés en 2018, et six autres le seront cette année. Cela permet de monter en compétences pour des métiers à haute précision. Ces formations pourraient s’intensifier si le gouvernement décidait de lancer de futurs portes-avions. Dans les Pays de la Loire, cela permettrait la création de 800 à 1000 emplois par an pendant dix-sept ans.
En dehors de ces ateliers, le chantier de la frégate de défense et d’intervention (FDI) progresse. Naval Group doit livrer ce nouveau bâtiment à la Marine nationale à partir de 2023. Le constructeur naval vient de recevoir un équipement important du navire qui sera bardé de technologies numériques. Vendredi 4 septembre, l’entreprise française iXblue a livré[11] le système de navigation cybersécurisé pour la première FDI en cours de construction. Ce genre de technologies permet également de ne pas dépendre des GPS américains, et de conserver une souveraineté technologique, chère au ministère des armées.
III. Un an après la crise industrielle de l’usine Lubrizol, de nouvelles mesures de contrôles et d’alertes sont annoncés
Le 26 septembre 2019, les entreprises rouennaises Lubrizol et NL logistique ont été touchées par un énorme incendie. Près d’un an après, ce jeudi 24 septembre 2020, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, se sont rendus à Rouen (Seine-Maritime), pour y rencontrer les acteurs locaux [12]. Lors d’une conférence de presse, ils ont annoncés de nouvelles règles concernant le contrôle de sites industriels, la mise en place d’un nouveau système d’alerte de la population.
Pour rappel, dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, à Rouen, un violent incendie se déclarait à l’usine de lubrifiants Lubrizol, classée Seveso seuil haut. Devant l’ampleur de l’incendie et des nuages de fumées qui s’échappaient, treize communes, du nord de l’agglomération rouennaise, ont dû appliquer des mesures de confinement.
Très rapidement, l’action et la réactivité de l’État ont été pointées du doigt dans la gestion de cette catastrophe industrielle majeure. La communication de crise a été vivement critiquée, tout comme l’efficacité des systèmes d’alertes mis en place pour avertir la population.
Des premières mesures afin d'améliorer la prévention des incendies et de mieux anticiper la gestion de crise, ont donc été annoncées (comprises dans 5 grand axes présentés dans le communiqué de presse officiel[13]) :
- étendre les contrôles dans les installations implantées à 100 m autour des sites Seveso, pour éviter les soucis liés à la propagation des incendies.
- la création d'un Bureau enquête accident sur la catastrophe de Lubrizol.
- la mise en place (au niveau national) d’un nouveau système d’alerte des populations, par téléphone portable, pour tous les types de risques.
Le nouveau système d’alerte aux populations[14] devrait permettre, d’ici 2022, en cas de danger, que toutes les populations, sur tous les territoires, métropolitains et ultra-marins, reçoivent un message d’alerte sur leur téléphone portable. 50 millions d’euros ont été budgétisé pour cela. Le nouveau système d’alerte à la population s’appuiera sur deux technologies « éprouvées » (diffusion cellulaire et l’envoi de sms géolocalisés) et « permettra l’envoi massif et rapide de messages prioritaires par rapport aux communications traditionnelles », selon le dossier de presse du gouvernement. Il sera ainsi « possible d’informer la population en temps réel pour indiquer la posture à tenir ».
Ce système sera déployé « au deuxième semestre 2021 dans les zones prioritaires à forte population ou représentant un risque particulier », puis généralisé à tout l’Hexagone d’ici à juin 2022.
Le Sénat recommandait pour sa part le système de diffusion cellulaire depuis 2010, les Pays-Bas l’appliquant depuis 2012, selon le rapport de la commission d’enquête de la Chambre haute sur l’incendie du 26 septembre 2019[15]. La Belgique également mettra en place pour juin 2022 de ce système, qui est aussi utilisé aux États-Unis et au Japon.
La diffusion cellulaire complétera le système d’alerte actuel de plus de 2 000 sirènes raccordées à un logiciel de déclenchement mais que nombre d’élus jugent dépassé et peu efficace.
Outre la présentation du nouveau système d’alerte, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a confirmé l’engagement du gouvernement d’augmenter « d’ici à la fin du quinquennat » de 50 % le nombre des inspections de sites industriels classés. Pour ce faire, les tâches administratives seront automatisées grâce à la modernisation des outils numériques.
Le ministre de l’intérieur a également tenu à saluer l’implication et la réactivité des sapeurs pompiers sur place lors de l’incendie, mobilisant 900 sapeurs-pompiers du SDIS 76. Cette crise leur a permis ainsi qu’aux collectivités locales de revoir leurs procédures de gestion de crise, et de les améliorer.
[1]Article paru sur Acteurs Publics, publié le 25/09/2020. Disponible en ligne sur: https://www.acteurspublics.fr/articles/exclusif-un-premier-bilan-critique-sur-le-teletravail-dans-la-fonction-publique-pendant-le-confinement# [2] Le programme TECH.GOUV publié le 27/08/2020. Disponible en ligne sur : https://www.numerique.gouv.fr/uploads/20200827_Plaquette_Techgouv_DINUM.pdf [3]Article paru sur Acteurs Publics, publié le 25/09/2020. Disponible en ligne sur: https://www.acteurspublics.fr/articles/exclusif-un-premier-bilan-critique-sur-le-teletravail-dans-la-fonction-publique-pendant-le-confinement [4] Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information [5] Article paru dans le journal Le Figaro, publié le 23/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.lefigaro.fr/societes/la-cybersecurite-francaise-s-installe-a-la-defense-20200921 [6] Sur 100 milliards d’euros attribués au plan de relance, 7 sont alloués au numérique. Article paru sur BFMTV, publié le 03/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.bfmtv.com/economie/plan-de-relance-sept-milliards-d-euros-seront-dedies-aux-numerique_AN-202009030255.html [7] Présentation du contrat sur le site du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, publié le 30/01/2020. Disponible en ligne sur : https://www.economie.gouv.fr/signature-contrat-strategique-industries-securite [8] Interview accordée au journal Le Monde, publiée le 20/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/20/l-industrie-navale-de-defense-secteur-prometteur-d-embauches_6052935_3234.html [9] https://www.naval-group.com/fr [10] Communiqué de presse du Ministère de l’Ecologie, publié le 04/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.ecologie.gouv.fr/volet-maritime-du-plan-relance-ministere-mer-annonce-650-millions-deuros-et-ancre-objectifs-dans [11] Article paru dans le journal l’Usine Nouvelle, publié le 07/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.usinenouvelle.com/article/la-nouvelle-fregate-de-naval-group-recoit-son-systeme-de-navigation-cybersecurise.N1000629 [12] Conférence de presse retransmise en directe par le compte Twitter officiel du Ministère de l’Intérieur, publiée le 24/09/2020. Disponible en ligne sur : https://twitter.com/Interieur_Gouv/status/1309089470881378305 [13] Communiqué de presse du Ministère de l’Intérieur, publié le 24/09/2020. Disponible en ligne sur : https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Renforcement-de-la-prevention-des-risques-industriels-et-amelioration-de-l-information-aux-populations [14] Tweet officiel de Gérald Darmanin, publié le 24/09/2020. Disponible en ligne sur : https://twitter.com/GDarmanin/status/1309092792535265282 [15] Rapport d’information enregistré à l’Assemblée Nationale le 20/02/2020. Disponible en ligne sur : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/inceindu/l15b2689_rapport-information
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